Faut-il s’affranchir des heures classiques pour être plus efficace ?
Depuis les vagues de confinements, de nombreux français ont expérimenté des horaires bouleversés avec le télétravail. Aujourd’hui, 1 personne sur 4 pense pouvoir être plus efficace à son poste si elle pouvait choisir ses heures pour travailler. La flexibilisation des horaires apparaît alors comme une solution idéale pour laisser le choix aux salariés de déterminer leurs moments de concentration maximale en vue d’augmenter leur productivité.
Mais dans quelle mesure cette flexibilisation est-elle souhaitable ? Quelles sont les limites observées ? Qu’en dit la science ? Voici quelques pistes de réflexion.
Comprendre son horloge biologique et ses horaires personnels
Peut-on dire que ne pas être du matin ou du soir est vrai scientifiquement parlant ? Eh bien oui, nous disent les chronobiologistes. Car nous avons chacun notre rythme, qui dépend davantage de notre personne que de notre environnement.
Le rapport que nous entretenons avec les horaires dépend de notre chronotype, notre rythme biologique personnel. Pour le docteur Claude Gronfier, chronobiologiste à l’INSERM qui étudie les mécanismes responsables de la synchronisation de l’horloge biologique, ce rythme est déterminé génétiquement.
« Chronobiologie : étude des rythmes biologiques dans l’organisme. »
Le fonctionnement de notre horloge interne repose donc sur nos gènes. Elle est un métronome général qui nous cale sur un rythme de 24 heures. Des sous-métronomes, les horloges périphériques, régissent chaque fonction biologique (réveil, mémoire…). Celles-ci ne sont pas forcément réglées de manière identique chez tout le monde, ce qui explique des différences de rythmes de sommeil ou de cycles de concentration.
Quelques chiffres concernant nos horloges et nos horaires
Chaque individu possède dans son cerveau une horloge biologique avec une rythmicité proche de 24 heures : entre 23H30 et 24h30 précisément.
Par exemple, une horloge lente (24h15 à 24h30) est une horloge qui prend du retard, déclenche des couchers et des réveils plus tardifs. La situation devient donc compliquée quand il y a obligation de se réveiller pour aller au travail, participer aux activités de la vie, etc.
Seulement 30 à 50 % de la population dormirait sur des horaires classiques, à savoir entre 23 heures et 7 heures du matin. Environ 40 % vit dans une situation légèrement désynchronisée et 0,2 % expérimente même un syndrome du trouble des rythmes.
Ne pas respecter son horloge peut avoir de graves conséquences sur la santé. Cela crée un décalage horaire nommé jetlag social qui favorise les risques de dépression, de phénomène addictifs, de troubles de l’humeur ou encore de diabète.
La solution se trouve-t-elle donc dans la flexibilisation des horaires ?
Pour maintenir sa compétitivité, une entreprise a besoin de salariés motivés et productifs. Cette motivation peut être notamment augmentée par une politique de responsabilisation des salariés au sein de l’établissement.
Elle peut aussi reposer sur une meilleure prise en compte des souhaits de chacun.e, en leur demandant ce qui les rendrait plus productifs et plus épanouis.
Le télétravail, ou tout simplement le choix du lieu de travail et des horaires dans la journée, offrent cette liberté aux collaborateurs de pouvoir travailler en suivant le rythme de leur horloge biologique propre. Par exemple, un salarié qui ne se sent pas productif à un instant T a tout intérêt à sortir prendre l’air, faire du sport ou faire une pause pour laisser reposer son cerveau. Il reviendra ensuite plus en forme et se concentrera mieux.
Il suffit ensuite de s’entendre sur un cadre qui satisfait à la fois l’employé.e et sa hiérarchie.
Mais cette solution, qui peut paraître idéale, doit être cependant nuancée.
Les limites de la flexibilisation des horaires
Entreprises et salariés expérimentent aujourd’hui de nouvelles manières de travailler et la flexibilisation des horaires ou encore l’implémentation du télétravail sont des voies intéressantes. Elles ne sont toutefois pas exemptes de limites.
Des limites internes
Toutes les entreprises ne peuvent pas se le permettre. Si des mesures sont applicables dans le monde des services digitaux, cela devient très compliqué dans des milieux comme la restauration, le service à la personne, l’hôtellerie…
Des limites externes
Si les clients de l’entreprise observent des horaires classiques de travail, il peut être difficile d’assurer un service en dehors de ces heures.
Des limites légales
Les employeurs ont le devoir de faire respecter le contrat et le droit du travail : les conventions collectives n’autorisent pas forcément le travail de nuit. Il faudrait déterminer une nécessité justifiée pour fixer de nouvelles règles, ce qui pourrait aussi conduire à devoir appliquer des hausses de salaires.
Des limites qui renforcent les inégalités
Pour Jeanne Ganault, docteure en sociologie à l’Observatoire sociologique du changement à Sciences Po, la flexibilisation du travail peut creuser des inégalités sociales et économiques.
Les postes qui disposent de davantage de temps pour réfléchir à leur organisation de ce temps et à son utilisation sont favorisés. Les postes qui requièrent une présence physique (accueil, caissiers, soignants…) subissent davantage de contraintes : les personnes n’ont même pas le temps de penser à pouvoir modifier leurs horaires.
Les contraintes extra-professionnelles constituent également des limites à la flexibilisation et au respect de l’horloge biologique. Si dans un couple avec enfants, une personne souhaite suivre son rythme biologique, il faut toujours quelqu’un pour s’occuper d’aller à l’école, faire les devoirs, faire à manger, etc. Ce qui conduit statistiquement à une inégalité de genre supplémentaire dans notre société.
Sans cadre précis, la flexibilisation des horaires peut donc contribuer à faire sauter les limites entre la vie privée et la vie professionnelle tout en exacerbant les inégalités sociales..
Des pistes pour rendre le travail plus flexible
Penser qu’il est possible de flexibiliser sans limite les horaires professionnels est une utopie.
Mais le respect de l’horloge biologique des salariés reste une piste à étudier, avec une zone d’équilibre qu’il est possible d’atteindre. Il convient alors d’apprendre à composer avec les contraintes sociales et familiales de chacun.e afin d’offrir davantage de souplesse.
Beaucoup d’entreprises prennent donc le temps de réunir les salariés et l’équipe dirigeante pour réfléchir ensemble en lançant brainstormings et sondages, afin par exemple de :
- souligner les difficultés de vivre avec des horaires de bureau
- trouver des recettes applicables (matin production, après-midi réflexion)
- réfléchir à adapter le service aux clients
- donner de la souplesse à chacun (autoriser des créneaux libres chaque mois pour ceux qui ont besoin)
- revoir les process de production et d’organisation interne
S’il n’existe pas de recette parfaite, il est certain que cette prise de conscience des différences et des contraintes personnelles renforcera l’adhésion à votre marque et participera à sa croissance.